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Le secret enfoui des maîtres, 2021

130 x 105 x 60 cm, 7’38, pierre, amplificateur, cuir, lecteur mp3, haut-parleurs, casque audio, medium, peinture acrylique, bois massif, feuille de pissenlit, plume de pigeon, contreplaqué.

Le secret caché des maîtres présente une pierre, trônant sur un piédestal, au-dessus un paysage construit avec des éléments pauvres. L’installation diffuse une musique concrète symphonie sur haut-parleurs, adressée à la pierre, alors qu’il faut saisir un curieux écouteur pour en entendre l’histoire racontée. J’utilise des extraits de souvenirs intimes pour composent cette première œuvre sonore : un texte parabolique sur la pédagogie écrit aux Beaux-Arts de Nantes en 2011, ainsi que des objets glanés et conservés. Ce sont tellement de trésors d’une collection que j’accumule modestement, avec le temps et l’esprit enfantin qui continue de m’animer.

« Deux maîtres s’interrogeaient sur la tenue de l’univers. L’un d’eux disait qu’après l’homme on ne trouverait rien de plus convainquant et de plus superbe. L’autre assurait qu’avant l’homme et après lui, il y eut toujours et il y aurait quantité de cellules, et donc que l’homme n’était pas l’ultime facteur, mais bien plutôt que c’étaient les particules élémentaires, dont l’homme n’est qu’un conglomérat. L’autre, offusqué, rétorquait le génie, la logique. Quid de la matière grise, disait-il alors qu’ils passaient aux abords d’une forêt et d’un lac. Le second eu l’idée de la démonstration pour prouver à son ami le maître que les cellules, même sans intelligence, devaient toujours être mises en haut de la pyramide des choses du vivant. Il prit une pierre et la jeta dans la marre. Elle coula dans le liquide opaque, laissant dans son sillage un flop caractéristique et une onde aquatique. Le premier acquiesça.

La forêt cachait l’orage et l’orage voilait le firmament. Derrière, il y avait les étoiles, elles-même cachées par l’intensité des rayons solaires. Ces derniers excitaient le dessus des nuages, invisibles du dessous, puisqu’il faisait noir, sous la pluie, dans la forêt. Là, il y avait un arbre, à l’orée d’une prairie qui abritait une feuille. On ne la distinguait pas vraiment du reste des feuilles, par manque d’observation, la feuille de bouleau, pareille à toutes les autres dans cette monoculture de bouleaux. Mais celle-ci tomberait la dernière, au dernier jour de l’hiver, dans une glissade olympique inspirée par la brise, sur le tas que formeraient les autres feuilles, en croissant de lune, pour celui qui, au milieu de la clairière, la regarderait mourir, avant de pivoter et de saisir qu’en fait de demi-lune, c’était un cercle parfait qui l’entourait. L’individu le concevrait du dessus, dans son esprit la pluie ayant cessé et un rayon de lumière parvenant à percer la forêt.

Dans la marre, le caillou s’était trouvé bien seul et bien humide. Il pensait au froid apporté par l’hiver naissant et aux rayons chaleureux qu’il ne reverrait plus, si profondément installé qu’il était dans les profondeurs de l’abîme. Il n’acceptait en rien sa position de faire valoir, sa stature de preuve ultime aux yeux des maîtres, son rôle de chaînon manquant dans la chaîne des particules élémentaires, ni sa place acquise, cachée aux yeux du sens commun. Comment pouvais-tu faire, caillou, incapable de te mouvoir et de raisonner les maîtres ? Comment pouvais-tu délier tes chaînes et voir l’émancipation de ta race d’alliés géologiques, du fond de ta cellule sombre et peuplée de résidus aquatiques ? Que le destin ne t’avait-il pas doté de qualités moins intermédiaires, que n’avait-il pas fait de toi un silex saillant sur la route des maîtres qui t’ont saisit, avec toi l’occasion de déchirer le voile de l’ignorance globale, et fait sombrer tes vertus dans les limbes d’un lac. Souviens toi l’espoir qui t’emplissait jadis, lorsque d’un bloc tectonique qui t’avait vu grandir, on t’avait extrait pour te tailler en pierre de voûte. A peine été installé dans l’église qu’elle tombait sous les bombes laïques. A peine une seconde dans ta vie misérable. Et tu connu la mer dont la vague te laissa les traits avant que le destin ne te laisse là, résidant de ton ultime demeure, pensais-tu. Si bien que l’ombre de la forêt te semblait parfois propice à ressasser ces souvenirs inhospitaliers, car le fait du hasard t’avait fait trouver ce coin chaud. Mais voilà qu’on te jetais à l’eau, et tu te doutais bien que jamais plus tu ne te disperserai en grains à force de marrée, ni n’aurait l’occasion d’accumuler la chaleur du soleil et encore moins de garder un peu chauds les abords du lac lorsque tomberait la nuit. Tu resterai le secret enfouis des maîtres.

Cependant, un scientifique distillait sa philosophie devant une bande de professeurs inattentifs, dans la pièce attenante à la salle ou les corps animaux et autres squelettes étaient entreposés depuis qu’une loi ou une réforme les avaient condamnés à la poussière sous clef. Son savoir perlait sur son front et résonnait dans le couloir. Il était révolté qu’on enseigne à ses classes si peu de choses fondamentales sur les sciences exactes et désolé par ses élèves dont les cahiers noircis marquaient la seule mesure de l’ignorance. Où était l’esprit aride des mathématiques, où les génies de demain qui mèneraient le troupeau à la résolution des problèmes infiniment petits et explosifs ? Où ? Il parlait de pédagogie, tandis que passait le directeur qui tournait la tête, lorsqu’il trouva la solution. Il fallait qu’il apporte à ses élèves la preuve de l’existence de la pierre, ou la pierre elle même qu’il avait tant cherché. Cette réponse lui pesa. »